il y a eu cette vision unique entrevu l'oiseau blanc à l'évidence un rapace dans ce début de nuit dans le sombre de la nuit un oiseau immense plus immense encore de sa blancheur quel était-il qui était-il comment le nommer dans son espèce sa singularité bien sûr un chasseur prédateur oiseau blanc porteur de ténèbres la nuit était à lui faisait corps était lui n'était rien sans lui sa trouée blanche qu'il faisait sur fond vaguement entraperçu dans la pénombre des chênes massifs et centenaires oiseau venu du fond des âges affirmation d'une présence haletante la vie même la vie blanche avaleuse de nuit comment dire j'ai vu ça une fois ne plus le revoir est un déchirement cette vision un gouffre un vertige qui recouvre d'autres souvenirs d'autres moments qui les enfouit les annule et en même temps les magnifie parce que parce que ce moment a vécu alors le temps existe le reste avec éphémère crépusculaire cette trouée de lumière blanche qu'aucun créateur n'aurait pu imaginer que la chaine du carbone aboutisse à ça cet oiseau blanc j'étais là moi qui n'écris jamais je enfin presque pour le voir pour témoigner pour donner à voir cette exaltation qui m'a saisie ne pas l'oublier ne pas renier ce moment dans l'oubli ultime sursaut féroce de volonté de vivre cet oiseau blanc n'était pas un rêve de l'ombre un chuintement de l'air tremblement de la vue mal accommodée à la noirceur du soir qui tombe l'oiseau lui ne tombait pas ne volait pas il planait enfin dire ce moment là ce n'était pas qu'une vision un flash un éclair il était vous dis-je prenez ma main serrez aussi réel que cette main crispée il était vrai
ce jour là cette année là
était-ce la Dame blanche
ce grand oiseau
planant dans la pénombre du crépuscule
j'ai vu comme je vous vois
un grand oiseau blanc
j'ai vu un coq faisan
bardé de multicolore
chanter vers cinq heures du matin
sur le toit de la maison
une harde de chevreuils
dans le givre du champ
une fouine
se faufilant carnassière
un marcassin
fuyant devant la voiture
dans la lumière des phares
incapable de se projeter hors de la route
une poule faisane
entourée d'une multitude
de poussins dans les hautes herbes
j'ai brièvement cohabité avec
une chouette chouette
que le chats ont chassé
vu
un vieux sanglier énorme
poursuivi par des chiens de chasse
vu
une biche
qui me regardait boire mon café
dans le petit matin glacé
une couleuvre
dans un chemin
je me suis trouvé nez à nez
avec un cerf adulte pas content
des cols-verts
prenant
leur envol depuis la mare
des buses qui vous regardent
longuement perchées
des chatons un noir et un blanc
qui gambadaient comme des lapins
sautillant dans les herbes vertes
trop grandes pour eux
j'ai entendu le bourdonnement
de milliers d'abeilles sauvages
se taire d'un seul coup
parce que le soleil disparaissait à l'horizon
j'ai longuement écouté
le chant des grenouilles taureau
et des crapauds musicaux
qui montait de la nuit forestière
j'ai eu peur
au bruit guerrier
des frelons agressifs
j'ai vu des araignées
maîtresses de la lande
tisser leur toile partout sur l'airial
un chien qui se jette à la poursuite
d'un lièvre
un chat avec dans sa gueule un lapereau
j'ai entendu le chant de printemps
d'oiseaux que l'on ne saurait nommer
j'ai vu des palombes
prises au filet
vu
des palombes apprivoisées
nichant dans les haies
des lézards de muraille
charmants compagnons
vu tout cela
il faut le croire
j'ai vu de mes yeux vu
la Dame blanche
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Robert Crémieux / CPP - Cycle des Landes / Clichy / dimanche 24 octobre 2010