L'économie est malade, cela se vérifie tous les jours. En quête de solutions à ce qui ressemble à une course à l'abîme, certains acteurs économiques ou théoriciens proposent le terme d'économie solidaire pour qualifier un projet de réponse crédible. Ayant identifié le problème - la recherche du profit maximum au cœur du système économique -, ils proposent des modalités de fonctionnement de l'économie permettant de placer la solidarité comme objectif de cette activité essentielle à l'être humain. Une autre économie ou, si on veut, une économie alternative. Est-ce un rêve, une utopie ou une nouvelle dimension du réel en construction ?
Le terme "économie" désigne l'ensemble des activités humaines consistant à produire, échanger, consommer des biens et des services. Pourquoi éprouve-t-on aujourd'hui le besoin de rajouter la qualification de "solidaire" pour désigner ce type d'activité à la fois nécessaire et constitutive des sociétés humaines ?
Depuis que les êtres humains produisent, échangent, consomment, de petits malins ont trouvé le moyen - à vrai dire divers moyens au cours des âges - de détourner une partie importante de l'activité économique à leur profit. Il en a souvent résulté des inégalités insupportables et des injustices criantes dans l'accès aux biens et services qui permettent de vivre dignement.
Par exemple, l'apparition de la monnaie s'est accompagnée de l'usure, c'est-à-dire le prêt de sommes d'argent contre le paiement d'intérêts dépassant de très loin les frais légitimes engendrés par le prêt. Les usuriers étaient aux Moyen-âge des prêteurs - on dirait aujourd'hui des banquiers - qui avançaient de l'argent contre remboursement à des taux exorbitants : 100 % ou plus. Ces excès ont conduit la plupart des sociétés développées à condamner l'usure et à fixer des règles concernant un "taux d'usure" au delà duquel le prêt est illégal.
L'usure n'est bien sûr qu'un exemple parmi d'autres des détournements possibles de l'économie au profit d'un petit nombre de « profiteurs ». Le terme "profit" lui-même est bien compris de façon quasi spontané comme signifiant détournement abusif de la création de la valeur produite par l'activité économique à la seule jouissance de quelques-uns : clan, caste, oligarchie, classe sociale.
Une autre économie
Le système économique aujourd'hui mondialisée est dominée par la recherche du profit maximum à court terme. Ce qui, à l'évidence conduit à des déséquilibres sociaux et à une crise écologique que bien peu contestent. Des solutions, des programmes politiques, des théories économiques ont été proposées afin de trouver une alternative à cette situation. Des expérimentations ont eu lieu. Par exemple, le système soviétique d'économie administrée a été mis en œuvre pendant plusieurs décennies au XXe siècle avant de faire la démonstration qu'il conduisait à une impasse. L'économie solidaire, pour sa part, n'est à ce jour incarnée par aucun parti et sa théorie économique est embryonnaire. Mais elle a pour elle un avantage décisif : elle existe.
Il suffit d'ouvrir les yeux, au delà des clichés de la pensée unique. En France, en Europe et un peu partout dans le monde, des activités économiques sont ainsi recensées qui ne fonctionnent pas sur la base de la recherche du profit maximum. A travers divers débats, bien entendu toujours en cours, certains ont proposé de qualifier ces activités économiques du nom d'économie solidaire. En quelque sorte pour prendre le contrepied d'une économie qui ne l'est pas ou qui ne l'est plus.
Les activités répondant au nom d'économie solidaire sont cependant souvent perçues comme étant marginales voire simplement charitables ou caritatives. C'est à la fois une illusion d'optique et le résultat de la propagande menée par les privilégiés de la société de profit. Officiellement - c'est-à-dire par la loi - l'économie solidaire est essentiellement présentée comme étant le secteur associatif dit de "l'insertion par l'économie", et accessoirement celui du commerce équitable. Les tenants de « l'économie sociale et solidaire » rajoutent les coopératives et les mutuelles.
En réalité, l'économie solidaire est partout où l'activité économique est débarrassée de la recherche du profit. Citons : les services publics, les mutuelles, l'agriculture paysanne, les coopératives, l'artisanat, les entreprises publiques, les activités culturelles et sportives associatives. Cette énumération n'est pas limitative mais donnée pour exemple. L'économie solidaire, en effet, n'est pas un « secteur » de l'économie, elle est représentée dans quasi tous les secteurs de l'économie. Le logement social, le système de retraite par répartition, la sécurité sociale aussi bien que le paysan producteur de lait, le rédacteur de logiciels libres ou le créateur de bijoux artisanaux contribuent à une économie qui ne demande qu'à répondre aux besoins humains. Les hôpitaux publics, par exemple, ou l'entreprise Renault quand elle était encore la « Régie », entreprise publique. La démonstration a largement été faite que l'activité économique débarrassée du profit pouvait fonctionner. Dans la peau de chagrin que le système libéral lui concède encore elle fait même parfois la preuve de son efficacité contre les folies du système dominant actuel.
Ainsi, toutes ces activités de production, d'échange, de consommation fonctionnent de fait comme économie solidaire. Non sans problèmes, si l'on veut bien considérer la liste ci-dessus. Chacune de ces manifestations d'une alter-économie est attaquée, dévoyée, entravée parce que ne permettant pas au système libéral de recherche du profit maximum de se déployer universellement. Non seulement elles résistent mais elles témoignent de fait de la capacité à présenter une alternative. Le relatif succès du commerce équitable n'a pas manqué de produire ses effets collatéraux par l'apparition du questionnement : si la nécessité du commerce équitable s'est fait jour, c'est bien parce-que la sphère de l'échange économique actuel n'est pas équitable. De là à chercher les solutions pour changer dans le bon sens, il n'y a qu'un pas. Pourquoi une partie seulement du commerce devrait-il être équitable tandis que le commerce en général resterait inéquitable ?
En définitive, toute action visant à faire fonctionner une activité économique quelconque en échappant à la dictature du profit constitue un pas vers la remise de l'économie au service de tous et de chacun. N'est-ce pas ainsi que l'on conçoit la solidarité ?
Il reste à concrétiser sur le terrain sociétal, sur celui de la théorie économique, sur celui des programmes politiques cette remise en ordre fondamentale. Ceci est une autre histoire que les acteurs et actrices de l'économie solidaire ont commencé à écrire.
Robert Crémieux
jeudi 15 septembre 2011
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