À propos du second tour
À l’issue du premier tour, notre assemblée citoyenne s’est réunie deux fois. Dimanche soir nous avons pris la décision de retrait de la liste. Lundi soir, nous avons adopté, après discussion sur les amendements, le communiqué précisant notre appréciation de la situation. Certains, dont je suis, auraient préféré une expression publique plus rapide. Mais, expérience faite, le temps du débat démocratique n’est pas du temps perdu. Lorsqu’un chef décide pour vous, cela peut paraître plus rapide et plus efficace. En réalité, c’est une démission collective. Quand la décision est prise à plusieurs voix, il faut prendre le temps de parler politique, ce qui a aussi l’avantage de ne pas tenir compte de la seule émotion du moment. Bref, comme disait Dominique Carton dans son intervention au meeting de jeudi dernier, « ça me va ».
Ce qui m’a frappé dans ces deux soirées de discussions, c’est la place prise par un débat de fond sur ce que doit être l’attitude au second tour. Tout d’abord il y a un large consensus sur le fait que nous ne sommes pas propriétaires des voix de nos électrices et électeurs. Être citoyen c’est être responsable individuellement et collectivement. Nous agissons ensemble, mais personne ne doit penser pour moi.
Ensuite, notre réflexion rejoint un débat qui est en train d’émerger sur la fameuse loi non écrite : « Au premier tour, on choisit ; au deuxième on se désiste pour le candidat de gauche le mieux placé ».
À force de répéter ce genre de phrase comme une vérité d’évidence, cela évite là aussi de penser. Or, sur le temps long, ce qui a pu faire une partie de la force électorale de la gauche peut aussi se transformer en boulet.
Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui et qui peut questionner cette soi-disant « évidence » ? L’hégémonie durable du PS a transformé une situation d’équilibre entre partenaires de forces quasi équivalentes en domination sans partage. Cela ressemble au théorème de Platini sur le foot, vous savez, deux équipes de onze joueurs et à la fin c’est l’Allemagne qui gagne. L’avance prise par le PS sur les autres composantes de la gauche a transformé cette règle de désistement réciproque en règle de désistement automatique pour le PS, avec quelques exceptions comme de bien entendu. Du coup, entre les deux tours, les discussions se réduisent au partage des places que le PS veut bien concéder, le programme appliqué étant de facto celui du parti arrivé en tête qui dicte ses conditions. Peut-on continuer comme cela ?
Autre facteur, et non des moindre, qui a changé la donne : le parti dit socialiste a-t-il encore quelque chose à voir avec celui qui était un parti de gauche ? La question peut paraître provocatrice à certains mais elle est posée, y compris par des membres du PS. Non, bien sûr, tous les membres du PS ne sont pas des réactionnaires. Mais l’évolution sociale-libérale du PS l’amène sur de nombreux terrains essentiels sur des positions qui sont celles de la droite et du Medef. En matière économique et sociale, d’écologie, sur la question de l’immigration, de la politique étrangère dictée par le complexe militaro-industriel, la gouvernance au 49-3, le PS au gouvernement mène une politique compatible avec celle des partis de droite.
À l’échelle de Clichy, cela se traduit bien sûr au PS par le refus d’être le bouclier politique et social contre les politiques d’austérité menées par le gouvernement ; par une politique d’urbanisme qui conduit à livrer les clés de la ville à des promoteurs tels que la SOGEPROM ; à s’inscrire sans réserve dans les grands projets inutiles et antidémocratiques du Grand Paris, à rebours de la nécessaire transition écologique.
Et ces exemples, que l’on pourrait multiplier, ne portent pas sur des points accessoires mais sur des orientations véritablement essentielles. Inutile de dire que depuis maintenant plusieurs années, avant même que Hollande soit Président, il est impossible d’avoir un quelconque débat entre partenaires avec le PS sur ces questions. Fort de son hégémonie, celui-ci nous renvoie à des phrases toutes faites « unité, unité ». Mais unité sur quoi ? Sur des politiques qui conduisent 60% des électrices et des électeurs à ne pas voter dimanche ? Ce n’est pas sérieux. Ça marche, parce qu’à gauche on est bonne pâte, une fois, deux fois. La troisième, c’est le coup de trop.
Pendant la campagne électorale beaucoup de nos amis extérieurs à Clichy nous ont dit : « on va regarder les résultats avec attention ». Ils avaient raison. En dehors des listes qui se partagent le champ politico-médiatique, PS et Repus, tout a été balayé. Y compris le FN qui a fait pschitt, ses voix étant siphonnées par le candidat de la droite propre sur elle. Sauf Clichy Citoyenne qui a maintenu ses positions. Car Clichy Citoyenne n’est pas une alliance de circonstances avec un « casting » de personnalités non-encartées, c’est une stratégie différente de celle qui nous enferme dans une stratégie d’ « union de la gauche » désormais caduque, à Clichy comme ailleurs.
Il faudra vous y faire, camarades socialistes, il n’y aura, il ne doit plus y avoir de désistement unilatéral et sans condition de ma part. Si je ne suis pas entendu, ni vous, ni d’autres d’ailleurs, n’auront ma voix. Il y aura forcément un troisième tour.
Robert Crémieux
@cremieuxrag
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