Sans emploi, ni droit ou voix au chapitre
Des analyses et des propositions : las de ne pas avoir voix au chapitre sur la question du chômage, le Mouvement National des Chômeurs et Précaires créé en 1986 vient d’éditer son premier rapport sur l’état du chômage. Une démocratie participative… par l’exemple.
« Le chômage, ce n’est pas seulement la "principale préoccupation des Français", ce n’est pas seulement le nombre d’inscrits à Pôle Emploi. C’est avant tout une réalité quotidienne qui se traduit par le décompte angoissé des ressources disponibles parfois au jour le jour. C’est un révélateur et une réalité vécue au carrefour des difficultés qui s’accumulent pour quiconque se retrouve privé d’emploi ». Robert Crémieux - militant historique du réseau AC ! - a coordonné le rapport sur l’état du chômage en 2011 réalisé par le Mouvement National des Chômeurs et Précaires (MNCP), premier du genre réalisé par cette association créée en 1986.
Un rapport de plus ? Un rapport d’un autre genre surtout puisqu’il s’agit de donner la parole aux principaux intéressés. Non pour des témoignages racontant la vie avec 15 euros par jour. Mais pour une analyse. Dans une société où la démocratie participative est devenue un leitmotiv, où chaque citoyen est appelé à co-élaborer les décisions qui le concernent… Le chômeur reste le grand ignoré.
Une parole usurpée que le MNCP a décidé de reprendre
Et de décliner deux rendez-vous principaux auxquels les chômeurs demandent de participer. Les négociations triennales de convention Unedic tout d’abord. Là, où, tous les trois ans se fixent les montants des cotisations chômage des salariés et des indemnités versées aux chômeurs. Certes, les syndicats y siègent mais, comme le souligne le rapport, seule la CGT dispose une section chômeurs. Autre rendez-vous auquel les chômeurs voudraient être conviés : les conventions tripartite Etat-Unedic-Pôle?
Emploi, véritable feuille de route du service public de l’emploi
Dans ces espaces, les chômeurs pourraient ainsi porter leur critique. Ainsi, celle du RSA. S’ils partagent le bilan global récemment tiré sur cette invention sarkozyenne - pas d’effet sur le recul de la pauvreté et sur le retour à l’emploi - le MNCP tient aussi à souligner qu’« à la différence du RMI qui était une allocation, le RSA est un outil qui précarise l’emploi ». Les chômeurs pourraient aussi porter leur revendication d’un « Système unifié et universel d’indemnisation du chômage ou de toute forme d’absence d’emploi ».
Certes, la « reconnaissance » évolue un peu et le collectif de souligner ses entrevues récentes par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), par le Sénat, le mise en place d’un comité de liaison avec Pôle Emploi… Autant d’éléments positifs dans un combat déjà ancien. « Des lignes bougent » reconnaît Marc Desplats, le président. Mais ce n’est qu’un début. Et de s’en référer à l’exercice des droits, « à conquérir plus qu’à défendre. » Pour preuve les pénibles 10 000 contentieux impulsés par les chômeurs sur leur indemnisation et les défauts d’information, la plupart du temps classés sans suite, les rares victoires comme celles des re-calculés en 2002.
Approximations et rumeurs tenaces
Prendre la parole permet donc de défendre des droits mais aussi d’attirer l’attention sur des sujets parfois éludés. Ainsi, les ressources des chômeurs. Les rapports et études sont rares, « une absence de documentation qui autorise approximations et rumeurs tenaces, du type : les chômeurs sont des privilégiés » dénonce Marc Desplats. Or, le rapport souligne que « la majorité des chômeurs sont en dessous du seuil de pauvreté ». Et de rappeler l’existence des fins de droit qui avaient ému l’opinion en 2010 et qui seraient aujourd’hui 2,02 millions à devoir vivre avec 15 euros par jour. Et de pointer l’existence de salariés précaires contraints d’avoir recours au chômage ou au RSA faute de contrats pérennes et à temps plein et obligés de survivre avec 25 euros par jour. Ou de souligner l’existence de cohortes, privées d’emploi et interdit de toutes aides de part leur âge, le RSA jeune étant trop cadré pour bénéficier à un grand nombre. 15 euros, 25 ou même 27 euros qui constitue l’indemnisation-plancher : des sommes très loin des 32 euros par jour qui constituent le seuil de pauvreté. « Pourtant, la question du niveau d’indemnisation n’est pas une préoccupation affichée par les partenaires du service public de l’emploi » note le rapporteur.
Alerte sur les risques de suicide
Ce document est enfin l’occasion d’attirer l’attention sur les risques psychosociaux des chômeurs. Là encore, le terme est à la mode mais le sujet ne parvient pas à pénétrer la sphère très étanche des sans emplois. Ni l’augmentation des suicides liés à la crise qui sévit dans toute l’Europe, ni l’interpellation de France suicide qui a déjà dit la nécessité d’assurer un suivi médical particulier n’a fait bouger les choses. La question « ne fait l’objet d’aucune recherche épidémiologique ni de politique de prévention des risques » alerte l’association.
Cette chape de plomb rend encore plus insupportable la stigmatisation dont ont été victimes les chômeurs ces dernières années, « sans relâche et avec une logique implacable » pointe le rapport qui reprend l’historique de toutes les « sorties » sur « le cancer de l’assistanat », « la nécessité de diminuer les montants et la durée de l’indemnisation » ou le besoin de « lutte contre les fraudeurs ». Même dans la dernière ligne droite, en période électorale, l’UMP a continué les coups bas, mettant les chômeurs au cœur d’un référendum ou insinuant qu’ils étaient responsables de leur non-formation. « A part depuis la campagne électorale, la formation des chômeurs n’est jamais une question » remarque Marc Desplats, « la réalité est que seuls 10% en bénéficient chaque année, que l’accès est extrêmement compliqué et que, en période de chômage de passe, si la formation est un atout pour retrouver un emploi, ce n’est pas une garantie.
Angélique Schaller
La Marseillaise / 13.04.12
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