par Robert Crémieux
Le Conseil municipal de Clichy, dans sa séance du mardi 14 décembre 2010, a destitué Alain FOURNIER (Europe Écologie – Les Verts) de son poste de maire-adjoint. Ce n'est certes pas la première fois que des adjoints sont démis de leurs fonctions par le Maire. Mais ce nouvel épisode des tensions au sein de la majorité de gauche de la municipalité marque un tournant politique. La destitution a clairement été obtenue par un vote réunissant le PS, le PRG et la droite clichoise. La majorité des conseillers de gauche (y compris certains socialistes) ont voté contre, désavouant le Maire.
Cette destitution amorce un virage, celui d'un renversement d'alliance que le maire, Gilles Catoire (PS) prépare depuis plusieurs mois. Seront à terme débarqués tous ceux qui à gauche contestent une gestion municipale qui s'aligne de plus en plus sur celle de la droite. Les communistes ont été privés de leur mandat d'adjoint, puis Chloé PERREAU (ex MRG désormais EELV), puis maintenant Alain FOURNIER. Demain ce sera le tour du Front de gauche s'il ne s'aligne pas sur les conditions fixées par les promoteurs immobiliers et le projet sarkozyste du Grand Paris.
La place sera libre pour l'entrée du Modem et de l'UMP dans une nouvelle majorité PS - PRG – Modem et droite clichoise plus ou moins en marge de l'UMP (par ex. le Parti radical de M. Borloo). Si la perspective qui se dessine ainsi est menée à bien dans les prochaines semaines, notamment à l'occasion du vote du budget en janvier prochain, cela s'appelle bien un renversement d'alliance.
Mais, dira-t-on, le Modem n'est-il pas présent dans de nombreuses municipalités de gauche, à commencer par celle de Martine AUBRY àLille ? Oui, mais dans ce cas, la configuration politique de la municipalité a été ratifiée par le vote des électeurs à l'occasion des municipales, sur un projet et une équipe. Et surtout, cela ne s'est pas fait avec la mise à l'écart des Verts et des autres composantes de la gauche.
Le contexte est donc tout différent à Clichy. Il s'agit bien, tout à la fois, de changer d'équipe en cours de mandat, de changer de projet en le rendant acceptable par une fraction de la droite clichoise et de ses commanditaires et de prendre des distances avec les écologistes, les communistes, le Front de gauche.
Le bénéfice escompté par le Maire est clair. Cela lui permettrait de bénéficier d'un rôle nouveau dans un département dominé par le clan de la droite sarkozyste. À la clé, des crédits pour des réalisations urbanistiques se coulant dans le moule du Grand Paris, une modification du profil populaire de Clichy pour en faire un prolongement « classes moyennes » de Neuilly –Levallois.
C'est ce discours politique que l'on a entendu de la part du Maire dans l'affaire du vote du Plan Local d'Urbanisme (PLU). Il ne s'agit plus de répondre aux aspirations des couches populaires de Clichy mais de « se mettre au travail ». Et de se mettre au service des grosses sociétés qui ne sont pas indifférentes aux évolutions sociologiques et politiques de la ville : L'Oréal, les promoteurs immobiliers, GDF Suez, etc.
C'est ce discours politique que l'on a aussi entendu de la part du Maire dans le domaine du logement social. On aura noté son empressement à mettre en application la loi Boutin alors qu'il est Président de l'Office HLM – Clichy Habitat. Ses propos sur les locataires du parc social rejoignaient tout naturellement ceux de Mme Boutin, l'application de sa loi coulait de source.
Une riposte à gauche ?
Mais cet épisode révèle une autre donnée du problème. Car sur le logement social, M. Catoire a dû opérer un retrait stratégique rapide devant la révolte des locataires. Les aspects les plus négatifs ont été en effet corrigés partiellement au bout de quelques mois par le CA de l'Office HLM et une position plus nuancée de l'application de la loi lui a été imposée. Ce que les Clichois ne savent pas : au sein du CA de l'Office, M. Muzeau, représentant de la droite clichoise vote les yeux fermés toutes les mesures proposées par le Président-Maire et contre notamment les représentants des locataires. À commencer par celles des mesures qui permettent de mettre le couvercle sur le scandale du chauffage urbain que tous les Clichois, de droite comme de gauche, payent au prix fort.
Si l'on examine maintenant l'épisode de la destitution d'Alain Fournier de son poste de maire adjoint, on constate que Gilles Catoire a du souci à se faire. Le vote n'a été acquis que de justesse : 23 voix pour, 20 contre et deux votes nuls. Sans le renfort des voix de droite, qui se sont prononcées massivement pour la destitution, le Maire était minoritaire dans le Conseil municipal. Il est désormais minoritaire à gauche. Non seulement Europe Écologie – les Verts, les communistes, le Front de gauche, Lutte Ouvrière se sont prononcés et ont voté contre la destitution d'Alain FOURNIER, mais une partie des socialistes a fait de même. Le total des vingt voix contre la destitution ne s'explique que par le vote de 8 conseillers PS, qui se sont d'ailleurs exprimés publiquement, par la voix de Jean-Claude MOINGT, contre la destitution. Gilles Catoire a donc réussi son coup de force contre les Verts mais au prix d'un renversement d'alliance de fait, qui s'était déjà manifesté lors du deuxième vote sur le PLU.
Que peut faire le Maire maintenant ? En clair, va-t-il poursuivre sa dérive vers la concrétisation d'une alliance à rebours des orientations de son propre parti dans la perspective des présidentielles ou relooker son langage et ses orientations vers la gauche ? Cela dépendra de la riposte de ses alliés écologistes et du Front de gauche mais aussi des évolutions internes à son propre parti, aussi bien sur le plan clichois qu'au niveau du département et du PS au niveau national. Pour ce qui le concerne, un indice est frappant. Il y a quelques mois, il se répandait partout pour expliquer que c'était son dernier mandat, qu'il allait passer la main, etc. Il a mis un bémol à ces velléités de passage de témoin. Comme son homologue Georges FRECHE, il se voit mal quitter de lui-même ses fonctions... sauf pour un poste de sénateur (qu'il n'aura pas) ou de chef suprême d'une future intercommunalité encore dans les limbes et dont rien ne dit qu'elle sera opérationnelle avant les prochaines municipales.
Se rêve-t-il en patron d'une municipalité gauche-droite rejetant les « extrêmes » d'un côté comme de l'autre ? Le recentrage de ses discours sur le refus de l'extrême droite comme de l'extrême gauche (dans laquelle il range bien sûr les écologistes, le PC et le Front de gauche...) est un indice supplémentaire de ses choix.
RobertCREMIEUX
Annexes : On trouvera sur le site de la Mairie de Clichy plusieurs documents relatifs à cet article.
Tout d'abord, le communiqué concernant la séance du Conseil municipal, où la destitution de Alain FOURNIER est relatée en une ligne et demi, sous la rubrique "Administration générale" en toute fin du communiqué. Paradoxalement, le Maire ne commente pas sur son blog personnel cet événement politique alors qu'il est si prolixe sur tous les sujets.
On se fera une idée utile des rapports que le Maire entretient avec L'Oréal / Bettencourt (le siège social de l'Oréal est à Clichy) en consultant le communiqué récent du Maire sur "l'affaire Bettencourt". Tout y est dit sur les rapports de l'argent et du pouvoir :"Gilles Catoire se félicite de l'accord entre Liliane Bettencourt et sa fille".
(article initialement paru sur le blog du site Mediapart, le 16 décembre 2010)
**
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.