Pour la deuxième fois en six mois, en France, un chômeur en
conflit avec Pôle emploi s’est immolé par le feu, mercredi 13 février à Nantes.
Plusieurs ministres ont fait part de leur émotion devant ce « drame
effroyable ». C’est le moins que l’on puisse dire.
Mais on ne peut non plus oublier que cette tragédie était prévisible, qu’elle était annoncée et qu’il y a des responsables.
Le gouvernement, les partis politiques et les médias ne pourront pas dire : « nous ne savions pas ». L’immolation par le feu reste un acte exceptionnel mais le suicide des chômeurs à bas bruit est un phénomène devenu significatif et dénoncé comme tel. Le MNCP avait fait écho, dans son Rapport sur la situation des chômeurs paru en 2012, avant l’acte désespéré du mois d’août dernier, du cri d’alarme des épidémiologistes sur cette question. Et témoigné à de nombreuses reprises de la désespérance qui s’exprime au quotidien dans les permanences des associations de chômeurs. À ce jour, il n’y a pas eu d’accusé de réception de cette alerte de la part des pouvoirs publics, ni de Pôle emploi.
Sauf à considérer que le chômage est une fatalité contre laquelle l’action politique est impuissante et incompétente, il faut donc bien reconnaître qu’il y a des responsables à la situation actuelle. Nommons-les ! Pourront-ils prétendre qu’il ne savait pas qu’il y a depuis des années des centaines de milliers de personnes en « fin de droits » ?
À commencer par le directeur-général de Pôle emploi, Jean Bassères, nommé par Sarkozy pour faire la chasse au chômeur et mettre au pas le personnel de l’agence secoué par la fusion ANPE - UNEDIC. Non seulement il n’a pas changé l’orientation et le cahier des charges de l’assurance chômage depuis la fin de l’ère Sarkozy mais il est le fer de lance de la politique du déni. On l’a encore vu récemment sur le plateau de l’émission télé « Les infiltrés » nous expliquer sans rire que tout allait bien à Pôle emploi. Non monsieur Bassères, tout ne va pas bien et vous refusez d’entendre les représentants du personnel et de répondre autrement que par la langue de bois aux associations de chômeurs. Après le drame de Nantes, c’est le même refrain qui revient : « tout a été fait » par Pôle emploi pour éviter le drame. Mais alors il était, ils seront pour les prochains, inévitables ? Démissionnez monsieur Bassères !
À en croire les partenaires sociaux signataires de l’accord Unedic en vigueur, Medef et CFDT en tête, ce nouveau drame serait un coup de tonnerre dans un ciel serein ? Mais enfin, ce sont les syndicats signataires de la convention UNEDIC dictée par le Medef qui sont responsables de ce fait incontournable : plus de la moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés et renvoyés aux divers systèmes de charité publique. Les associations confrontées au drame quotidien des SDF, dont le Collectif des morts de la rue, recensent une moyenne de près d’un mort par jour depuis le début 2013 ! Le chômage tue, pas seulement par suicide.
Depuis maintenant près d’un an, le gouvernement Hollande affirme avoir fait de la lutte contre le chômage sa priorité. Ce n’est ni nouveau, ni original. Mais le message adressé aux chômeurs est dans le même temps particulièrement négatif et désespérant : il s’agit d’inverser la courbe du chômage à l’horizon de la fin 2013. Et d’ici là, les chômeurs, ils font quoi ? Ils attendent des jours meilleurs ? Le retour improbable de la croissance ?
Par contre, au jour le jour, ils ne voient rien venir dans les objectifs, les moyens et les pratiques de Pôle emploi. Que fait, que dit Michel Sapin aux chômeurs et précaires en attente d’un plan d’urgence et d’une refonte de Pôle emploi ? Rien. Il a fait sienne la politique du profil bas, de la connivence avec tel ou tel des partenaires sociaux et pour le reste, les revendications des associations de chômeurs, moins on en parle, mieux on se porte. Rappeler une fois par mois, à l’occasion de la publication des chiffres officiels, et manipulés, du chômage que le gouvernement agit lui paraît bien suffisant. À quand une vraie confrontation, par exemple à la télévision, avec le MNCP ? À quand la prise en compte de l’urgence sociale et d’une rupture avec la malfaisance des dispositifs mis en place par les gouvernements UMP précédents ? À quand une grande initiative nationale afin de mobiliser les salariés, les chômeurs et précaires dans une grande politique concrète de création d’emploi et de réduction du temps de travail ? Si vous ne voulez pas, ou n’êtes pas capable, démissionnez monsieur Sapin !
Le Medef, quant à lui, tient la solution. Pour les salariés plus de flexibilité. Sur ce point, l’accord interprofessionnel Medef-CFDT-Hollande du 11 janvier comble ses attentes. Pour les chômeurs, le meilleur reste à venir : un retour à la dégressivité des indemnités chômage et l’éternelle chasse aux fraudeurs que sont en puissance tous les chômeurs.
Pour le Medef, hélas suivi par les syndicats signataires de l’actuelle convention UNEDIC, l’essentiel n’est pas de répondre à leurs attentes mais de réduire le coût de l’assurance chômage pour le patronat. Un coût qui pourtant à l’heure actuelle ne lui coûte guère : d’un côté le déficit de l’assurance chômage est financé par des emprunts auprès des banques et d’un autre côté le taux élevé du chômage exerce une pression considérable à la baisse sur les salaires, tant est forte la peur du chômage dans l’ensemble de la population.
L’actuel système soi-disant paritaire de l’UNEDIC est un trompe l’œil qui permet au Medef d’imposer ses vues sans coût férir à chaque renégociation de l’assurance chômage, toujours dans un sens défavorable aux chômeurs. Quand les syndicats non signataires auront-ils le courage de dénoncer cette imposture et d’engager l’action aux côtés des associations de chômeurs ?
Robert Crémieux