Propos recueillis par Nathalie Salles
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Article publié lundi 13 mai sur le blog MamzelleBlog sous le titre :
Suite à mon billet sur le recouvrement des indus par Pôle emploi proposant un décryptage juridique, Robert Crémieux, ancien président du Mouvement National des Chômeurs et Précaires (MNCP), m’a proposé d’apporter des précisions sur l’intervention et l’engagement du MNCP en faveur des chômeurs confrontés à ces indus et revient sur l’insécurité juridique des demandeurs d’emploi.
Nathalie Salles – Quel évènement vous a amené à rejoindre le MNCP puis à en devenir le président ?
Robert Crémieux - Dans le quartier de banlieue parisienne où j’habitais au début de la décennie 90, j’ai constaté que la montée du chômage n’était pas prise en compte par les syndicats et encore moins par les partis politiques. J’ai participé alors à la constitution d’un mouvement d’action contre le chômage (AC !) qui réunissait des syndicalistes de tous horizons, des chercheurs, des militants politiques et, notamment, un mouvement de chômeurs, le MNCP.
Mais à la fin des années 90, je me suis retrouvé moi-même à pointer à l’ANPE pour la première fois de ma vie. Une expérience à laquelle je n’étais pas préparé, ma génération n’ayant pas connu dans sa jeunesse le chômage de masse. Et cela s’est très mal passé, mon dossier à connu des fortunes diverses dans son traitement par les ASSEDIC, je me suis retrouvé en conflit avec l’assurance chômage et sans indemnité pendant de très longs mois. J’ai très mal vécu cette situation, cela m’a conduit à rejoindre le MNCP en 1997. J’étais déjà convaincu de la nécessité pour les chômeurs d’avoir à mener une lutte syndicale, mais cette fois c’était pour moi-même que j’étais amené à m’inscrire dans ce type d’action !
Il a d’ailleurs fallu le mouvement des chômeurs historique de l’hiver 97-98 pour que mon dossier ASSEDIC soit réexaminé et que mes droits aux allocations chômage soient enfin reconnus. Pendant plusieurs jours avec le MNCP, AC!, APEIS, la CGT chômeurs, nous avons occupé l’agence de Gennevilliers puis l’ANPE… C’est dans le cours de ce mouvement que j’ai pris des responsabilités au sein du MNCP puis que j’en suis devenu président. J’ai quitté la présidence car j’avais retrouvé du travail… mais je suis resté adhérent du mouvement. Sans responsabilité particulière (je suis actuellement retraité) mais j’essaie de me rendre utile. Le mouvement repose pour une part sur le concours de bénévoles comme moi (nous les appelons : « citoyens / citoyennes solidaires »).
- De quelle manière les chômeurs concernés par un recouvrement d’indus entrent-ils en contact avec vous ? Est-ce l’association qui va au devant de leurs problèmes et de quelle manière ?
Le MNCP est une fédération de maisons de chômeurs. Chacune a son histoire, ses particularités, ses modes d’action et son nom local sous lequel elle est connue. La manière dont les chômeurs entrent en contact varie avec l’implantation locale : certaines reçoivent même des personnes que les services publics débordés où impuissants leur envoient.
Certaines associations ont aussi la pratique militante d’aller aux portes des Pôle emploi ou des CAF. L’adresse du MNCP est affichée dans les agences Pôle emploi. Et parfois, lorsque nous mettons en avant une question particulière comme les radiations ou les indus et que la presse locale en parle, nous avons des chômeurs qui s’adressent à nous… Depuis que le MNCP a une meilleure visibilité sur Internet (mncp.fr) et sur les réseaux sociaux (sur twitter @Federation_MNCP , un groupe sur Facebook et sur dailymotion), il y a aussi des personnes qui prennent contact par ce moyen car nous n’avons pas d’associations sur tout le territoire.
- Face à des indus, les chômeurs ont-ils le réflexe de vous contacter rapidement ou attendent-ils d’être dans une situation inextricable ?
D’une façon générale, les personnes nous contactent quand elles sont vraiment en difficulté. Et parfois quand elles ont essayé d’autres solutions. Beaucoup de gens voient par exemple le recours à un avocat comme l’arme fatale face à Pôle emploi, alors que c’est une solution souvent coûteuse et où il n’y a pas de certitude de gagner.
Il faut comprendre que nous sortons d’une période de plusieurs années où le MNCP n’avait aucune visibilité médiatique. Zéro, censure totale au niveau des grands medias nationaux. Les syndicats, par exemple, font partie de l’imaginaire social alors que les associations de chômeurs sont trop peu connues, pourtant le MNCP existe depuis vingt-sept ans.
- Quel est votre processus d’intervention face à des indus réclamés par Pôle emploi ? Plaidez-vous directement la cause du demandeur d’emploi auprès de la Direction de Pôle emploi ou l’assistez-vous au tribunal lors de l’audience ?
Chaque cas est singulier. Souvent, en particulier pour les sommes en dessous d’un certain seuil, une intervention de l’association en appui des démarches du chômeur (qui peut être au moment du contentieux un salarié précaire) auprès du directeur d’agence suffit à débloquer la situation. Les associations peuvent aussi intervenir auprès du médiateur régional et du médiateur national.
Pour les sommes dépassant le millier d’euros (ce qui est fréquent), c’est plus compliqué car le règlement interdit au directeur d’agence d’effacer purement et simplement la demande de remboursement. L’affaire se complique car souvent à la base du contentieux il y a une erreur de Pôle emploi mais qu’il est difficile de prouver. Pôle emploi, par principe, n’admet jamais ses torts. Parfois l’organisme reconnaît que c’est « la faute à l’informatique… ». Le problème est le même dans les CAF avec les questions des indus liés au RSA.
En principe, Pôle emploi, d’après sa mission, doit soutien et information aux chômeurs. Dans les faits, c’est le chômeur qui doit batailler pour prouver sa bonne foi. Pôle emploi est juge et partie en s’appuyant sur des règlements de l’Unédic qui en font une zone de non-droit pour les inscrits. Les voies de recours sont quasi clandestines, même si cela dépend de la volonté du personnel et il faut dire que là où il y a des syndicats comme SNU Pôle emploi – FSU ou Sud emploi qui mènent des actions communes avec les associations de chômeurs, cela facilite les choses.
Mais entrer dans la moindre procédure de contentieux est un parcours d’obstacle pour lequel les chômeurs et chômeuses ne sont tout simplement pas armé. Il s’agit de constituer des dossiers, d’écrire des lettres recommandées, de suivre des procédures de recours byzantines où souvent même les agents de Pôle emploi se perdent eux-mêmes de bonne foi tant ils sont débordés et au prise avec un management déresponsabilisant. L’actuel médiateur de Pôle emploi, après son prédécesseur qui a jeté l’éponge, en est le témoin effaré. L’instance régionale paritaire, par exemple, est une escroquerie juridique où le dossier de l’accusé comparaît sans défenseur. Et il faut tenir compte que les récentes critiques du médiateur national sont faites de manière très « diplomatique ».
Dans ce contexte, vient un moment où nous disons, il n’est pas possible de défendre les chômeurs qu’au cas par cas. Il faut une action collective pour faire des réformes d’ensemble. Sinon c’est un travail sans fin où l’on s’épuise et où malgré des succès beaucoup de chômeurs n’y trouvent pas leur compte. C’est l’une des raisons, en plus de l’urgence sociale, qui nous conduit à participer à la Marche des chômeurs, chômeuses et précaires pour leurs droits (15 juin – 6 juillet) avec APEIS, AC !, DAL, les syndicats Solidaires et la FSU.
- Des dossiers d’indus se sont-ils soldés par un abandon des poursuites par Pôle emploi, voire une reconnaissance de leur erreur lors du calcul de l’allocation chômage ?
Bien sûr, il y a de nombreux cas où l’intervention des associations, le recours au médiateur se soldent par des rectifications du dossier. Mais « l’erreur de la banque en votre faveur », ça n’existe qu’au Monopoly. De très nombreux chômeurs abandonnent leurs droits parce qu’ils ont le sentiment d’être le pot de terre contre le pot de fer. L’administration ne reconnaît jamais ses erreurs et la résignation gagne.
L’action collective est alors la seule issue. Il y a quelques années on en a eu l’illustration avec l’affaire des « recalculés de l’Unédic » où, suite à une erreur juridique, des centaines de milliers d’allocataires avaient été lésés. L’ardoise a été effacée devant le scandale et la mobilisation du mouvement des chômeurs mais jamais l’Unédic n’a reconnu ses fautes.
- Suite au rapport du médiateur de Pôle emploi, attendez-vous avec impatience la publication du rapport spécifiquement sur les indus ? Avez-vous rencontré le médiateur de Pôle emploi ?
Un rapport sur les indus peut être une bonne chose. Mais il y a lieu de craindre des pressions dans le climat actuel. Le statut public de Pôle emploi fait que le dossier est suivi de près par le ministre du travail. Les associations de chômeurs qui ont une légitimité à représenter les chômeurs doivent être associées à part entière aux rapports, enquêtes et aux décisions, – dans ce domaine comme dans les autres. Sur le fond, quelles que soient ses qualités personnelles, ce n’est pas au médiateur seul de faire des propositions et d’assurer le suivi.
- Pour rebondir sur l’actualité, suite à votre prise de position sur le blog de Mediapart (02/05/2013)qui met en exergue les tensions entre l’Unedic et Jean-Louis Walter, pensez-vous que la simplification de la règlementation d’assurance chômage soit la solution aux problèmes d’indemnisation et d’accompagnement des demandeurs d’emploi ? Par essence, les règlementations, le code du travail ne sont-ils pas compliqués ? N’y-a-t-il pas un risque de perdre la personnalisation, la singularité de l’indemnisation de certaines professions (marins pêcheurs, VRP, saisonniers… les annexes du RAC) ? La simplification de la règlementation d’assurance chômage ne risque-t-elle pas d’entraîner une précarisation plus importante des demandeurs d’emploi ? Par ailleurs, cette question de la simplification ne fait-elle pas débat que depuis la fusion ratée ANPE-Assedic ?
L’intention du médiateur est sans doute louable. Mais le problème est ailleurs.Le statut du chômeur l’exclut du droit du travail. L’insécurité juridique du chômeur n’est pas simplement un problème de simplification mais tient au fait qu’il n’y a pas de droit du chômage (ou un droit du travail étendu au chômage), ce qui en fait une curiosité juridique. Un chapitre de notre Rapport 2011 sur la situation des chômeurs est d’ailleurs consacré à cette question de l’insécurité juridique (disponible en téléchargement sur le site du MNCP).
Ce sont les règlements de l’Unédic qui sont la « loi » pour les chômeurs. Or ces règlements varient en fonction des Accords Nationaux Interprofessionnels (ANI, dont le sigle est devenu fameux récemment) qui conditionnent les Conventions Unédic. Ces règlements sont périodiquement renégociés par les partenaires sociaux et sont déterminés par les compromis conclus entre le Medef et certains syndicats. Le droit n’a pas grand-chose à y voir : il s’agit d’un rapport de forces au sein d’un paritarisme truqué.
- Après un long combat, le MNCP fait partie de certaines maisons de l’emploi ainsi que des comités de liaisons, n’est-ce pas un paradoxe que de ne pas faire partie des négociations de la convention d’assurance chômage ?
C’est plus qu’un paradoxe, c’est une situation scandaleuse. La participation à ces négociations est une revendication fondatrice du mouvement des chômeurs. Personnellement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui, les yeux dans les yeux, m’a justifié cette incongruité dans un Etat qui se dit de droit. La résilience du MNCP au cours de ces années tient en partie à la légitimité de cette nécessaire participation.
- Les prochaines négociations débutent en septembre, pensez-vous que le dispositif d’activité réduite ainsi que le régime des intermittents du spectacle doivent-être revus ? Si les allocations chômage deviennent à nouveau dégressives, considérez-vous que cela apportera une solution à une reprise d’activité plus rapide des demandeurs d’emploi ?
Nous ne prenons pas en charge les questions des intermittents du spectacle parce qu’ils ont leur propre mode de représentation syndicale. Mais nous sommes d’une façon générale solidaires de leurs prises de position.
Quant à la dégressivité des allocations, cela ressort chaque fois qu’il y a une augmentation du nombre des chômeurs. C’est l’illustration du « théorème Pôle emploi ». Plus la file s’allonge, plus les conditions qui leur sont faites se dégradent dans tous les domaines. C’est le cas en matière d’indemnisation : le Medef souhaite faire payer le coût du chômage principalement par les chômeurs-allocataires et les salariés-cotisants, en diminuant les versements aux uns et en augmentant les cotisations des autres.
Le MNCP estime de plus que la dégressivité existe de fait : la moitié des inscrits à Pôle emploi ne perçoivent pas d’allocation et les personnes en fin de droits sont renvoyées dans des systèmes de solidarités indignes alors que nous considérons que toutes les personnes privés d’emploi doivent être indemnisées. Ce ne serait jamais que l’application d’un droit inscrit dans la Constitution…
Contacter :
Facebook : Robert Crémieux
Twitter : @cremieuxrag
Marche des chômeurs : [email protected]
Propos recueillis par Nathalie Salles
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