La France est un pays où il y a beaucoup de chômage mais pas de chômeurs. Un tel paradoxe vous étonne ? Vérifiez en consultant les textes officiels des principaux partis de droite ou de gauche. Prenez, par exemple, le texte du projet du Parti socialiste, intitulé "Le changement" que les médias décortiquent depuis plusieurs jours. Une demi-douzaine de paragraphes comportent le mot "chômage". Au chapitre "travailler mieux pour vivre mieux" on va trouver par exemple : "Combattre le chômage".
Bon, d'accord, il faut combattre le chômage. Un programme de parti politique qui ne comporterait pas ce passage obligé n'existe pas. Mais avec qui, pour qui ? Et bien, faites l'expérience, comme me l'a soufflé Hervé Kempf, sur un sujet voisin, dans une chronique du journal Le Monde du 13 avril : recherchez les occurrences du mot "chômeurs". Résultat : 0.
Il ne s'agit pas d'une querelle de mots. Mais d'un point de vue philosophique, politique, social. Si le mot "chômeurs" (ainsi que "chômeuses", j'ai vérifié) est absent c'est que la gauche en général trimballe une vision économique abstraite du chômage et non une approche concrète, humaine de ce phénomène de société. Statistiques, INSEE, taux, en baisse ou en hausse : économistes et responsables politiques jonglent avec ces notions. A force, ils en oublient que derrière ces abstractions utiles pour comprendre le réel se cachent des femmes et des hommes bien réels.
Comment un parti politique prétendant s'adresser à ses futurs électeurs peut-il espérer être crédible quand son langage le trahit à ce point ? Croit-on qu'un chômeur, pour être convaincu de voter pour tel ou telle va se déterminer aujourd'hui, après quarante ans de déclarations, sur une énième phrase comportant la formule magique : "combattre le chômage" ?
Quarante ans c'est bien plus qu'une génération qui, dans certaines catégories de la population et certaines régions, n'a connu que la précarité du travail, les petits boulots, le RSA, Pôle emploi, le contrôle social, la répression et la stigmatisation. Alors, entendre "Combattre le chômage" pour eux c'est du foutage de gueule si derrière ne se profilent pas des mesures proposant des perspectives concrètes, immédiates, sur les questions concrètes qu'ils se posent. Parlons des vrais questions : quels revenus pour les fins de droits, quel accueil à Pôle emploi, quel niveau pour les minimas sociaux, quel accueil dans les CAF débordées par le nombre et les sous-effectifs.
Oui ou non va-t-on "combattre le chômage" en proposant toujours plus d'emplois précaires dans les Pôle emploi ? Va-t-on combattre le chômage en attendant le miracle d'une croissance qui ne vient jamais ou qui n'est jamais celle qui sera porteuse d'emploi ? Va-t-on continuer à considérer les êtres humains comme la variable d'ajustement en cas de crise - depuis quarante ans la crise est aussi permanente que le chômage ? Va-t-on trouver des solutions pour celles et ceux qui sont en fins de droits ou dans l'éternelle spirale descendante du chômage de longue durée ? Comment va-t-on résorber les impayés de loyer pour éviter l'expulsion ?
Cela pourra peut-être étonner les rédacteurs et rédactrices des programmes politiques mais les chômeurs et chômeuses se posent ce genre de questions. Ils sont à l'écoute des responsables politiques qui daigneront parler d'eux et pas seulement brosser un tableau de la situation générale. Ils et elles sont des citoyens comme les autres. Ils prétendent même pour un nombre croissant d'entre eux à être représentés dans tous ces organismes - certains forts utiles au demeurant - qui traitent des questions qui les concernent mais dont ils sont soigneusement exclus : Pôle emploi, l'UNEDIC, la CAF et autres. Et lors du dernier scrutin des élections cantonales les électeurs et électrices ont envoyé par l'abstention un message clair. Bien plus clair que tous les programmes politiques de France et de Navarre. Arrêtez de nous prendre pour des buses !
Robert Crémieux
Commentaires