[ article novembre 2005 ]
« Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé. Depuis maintenant plus de douze ans que j’occupe ces fonctions, tout a été essayé. Vous connaissez le triste résultat. » Depuis ces phrases de François Mitterrand en 1993, force est de constater, plus de dix ans après, plus de trente ans depuis l’apparition du chômage de masse en France que le même « triste résultat » prospère. Tout a été essayé ? Difficile à croire. Et, en tout cas depuis vingt ans, depuis l’apparition sur la scène publique des mouvements de chômeurs avec la création en 1986 du Mouvement National des Chômeurs et Précaires (MNCP), au moins une chose n’a pas été vraiment essayée : l’écoute et le dialogue avec les représentants des chômeurs.
La France vit depuis vingt ans cette situation stupéfiante dans un pays démocratique : personne ne peut ignorer que les chômeurs se sont donné des instances de représentation ; leurs actions ont marqué profondément la société et le mouvement social européens ; et malgré cela jamais ils ne sont conviés aux négociations concernant l’emploi, l’indemnisation du chômage ou le droit du travail. Plus le chômage et la précarité s’enracinent dans le paysage économique et social, plus les effets désastreux se font sentir dans tous les domaines de la vie et plus les organisations de chômeurs et précaires apparaissent comme le « trou noir » de la galaxie sociale. Pas un jour sans que le chômage soit le sujet de déclarations, de reportages, d’avis plus ou moins autorisés et pas un jour sans que cette vérité ne se vérifie : les chômeurs et précaires sont les éternels exclus du débat public. Seuls les intermittents du spectacle ont obtenu une certaine audience grâce à la mobilisation des professionnels de la culture et des artistes connus. Mais les mêmes n’ont pas levé le petit doigt pour le tout-venant du chômage.
Depuis plusieurs mois, il est question des négociations ouvertes par les partenaires sociaux – patronat et syndicats confédérés – pour le renouvellement de la convention UNEDIC. Celle-ci fixe, en principe tous les trois ans, le montant et la durée des indemnisations du chômage, le montant des cotisations des salarié-e-s et des entreprises et autres modalités du régime du chômage. Ces négociations – qui doivent se conclure avant le 31 décembre prochain - se déroulent dans un contexte où l’élément majeur du débat semble être le déficit cumulé de l’UNEDIC qui frise désormais près de 14 milliards d’euros.
Ni l’État, tutelle de l’UNEDIC dans le cadre du service public de l’emploi, ni l’UNEDIC, ni aucun des partenaires sociaux n’a jugé bon de consulter, rencontrer ou associer les mouvements de chômeurs dans le cadre des négociations de la nouvelle convention. Lorsque le MNCP s’adresse aux partenaires sociaux ou à l’UNEDIC pour une éventuelle rencontre, au mieux nous ne recevons pas de réponse, au pire c’est une fin de non recevoir. En juin dernier, las des éternels refus de l’UNEDIC de nous rencontrer, nous avons demandé un rendez-vous par l’intermédiaire d’un huissier. La réponse a été sans équivoque : « une rencontre n’est pas opportune ».
Dommage. Nos propositions valent ce qu’elles valent. Elles méritent sans doute d’être mises en débat car les chômeurs n’ont pas plus que les autres la science infuse. Mais elles éviteraient peut-être de graves et douloureuses erreurs que les responsables omniscients de l’UNEDIC commettent sur le dos des salariés, des chômeurs et précaires. Rappelons que l’UNEDIC, en 2004, a dû rétablir, suites aux actions en justice des chômeurs, dans leurs droits 800 000 « recalculés » que le système avait arbitrairement privé de sept mois de revenu. Il y a des années que nous disons que les chiffres d’évolution du chômage qui servent à prévoir les besoins de financement de l’UNEDIC sont sous-évalués et plongent le régime dans le déficit. Il y a des années que nous soulignons que la croissance de la précarité coûte encore plus cher que le chômage proprement dit. Il y a des années que nous faisons des propositions réalistes pour une remise à plat du système qui tienne compte des vraies réalités économiques et sociales. Il y a des années que nous démontrons que ce que l’on appelle « la lutte contre le chômage » ne se fera pas sans les chômeurs eux-mêmes. Il y a des années que la justice saisie de nombreuses affaires nous opposant à la direction de l’UNEDIC nous a reconnu une légitimité certaine pour défendre les droits collectifs et individuels des chômeurs.
Il y a, enfin, des années que, dans notre réseau d’associations locales, chaque jour des chômeurs et précaires peuvent venir dans des lieux d'accueil, se sentir chez eux, défendre leurs droits, préparer leur avenir. Ces associations se débattent dans des conditions extraordinairement difficile en raison du déficit de reconnaissance par les pouvoirs publics alors qu’elles jouent au niveau local un rôle reconnu par l'opinion, les organismes sociaux, les associations et très souvent les partenaires sociaux eux-mêmes.
Comment les plus hautes institutions de ce pays, les partis politiques, les syndicats confédérés peuvent-ils accepter que l’UNEDIC nous réponde : « circulez, vous n’existez pas » ?
Si encore les responsables de ce gâchis pouvaient se prévaloir de résultats ! Mais non, au-delà des ridicules shows médiatiques organisés chaque fin de mois sur les variations saisonnières du chômage officiel (quelques milliers de chômeurs en plus ou en moins), tous les indicateurs économiques et sociaux restent au rouge. Tel mois on prétend que le chômage est repassé sous la barre des 10% ? C’est oublier un peu vite que la précarité salariale remplace le chômage à plein temps. L’INSEE vient de le rappeler : aux 10% de chômeurs au sens de l’UNEDIC il faut rajouter 1,2 million de travailleurs en situation de sous-emploi (4,8% de la population active). Ce qui signifie 15% de chômeurs et précaires dans la population active. Encore faut-il souligner qu’une partie des titulaires des minima sociaux, les plus de 57 ans dispensés de recherche d’emploi, les stagiaires, les jeunes et les femmes qui n’ont jamais travaillé n’apparaissent pas dans les statistiques officielles. Le RMI sert de déversoir à l’UNEDIC et à l’ANPE qui ont reçu pour mission principale non de favoriser l’emploi mais de radier au maximum afin de faire baisser les chiffres, à défaut du chômage.
Dans le même temps, il ne se passe pas d’année depuis vingt ans sans que des tentatives soient menées pour durcir toujours plus les conditions d’indemnisation du chômage. La durée de l’indemnisation a ainsi été ramenée de 30 à 23 mois en 2002. Le salaire initial qui dans les années 80 pouvait être couvert jusqu’à 90% par le revenu de remplacement n’est plus couvert qu’à 57,4%. Le pouvoir d’achat des chômeurs est sans cesse rogné : lorsque le Smic est augmenté ces dernières années, soit les indemnités sont réévaluées dans une moindre proportion, soit elles ne sont pas réévaluées du tout. Ce fut le cas pas plus tard qu’en juillet dernier où le Smic a été réévalué de 5% et les indemnités de… 0%. Ce dernier exemple en dit long : en quelque sorte les chômeurs ont déjà été mis à contribution pour éponger le déficit de l’UNEDIC.
L’enjeu des négociations UNEDIC tourne autour d’une équation simpliste : qui va payer le déficit ? Certains ont déjà répondu à la question. Le patronat du Medef veut rétablir la dégressivité des allocations chômage (mesure déjà instituée en 1992 et rapportée suites aux actions des chômeurs), ou encore plafonner les indemnités perçues par les cadres. Bref, il s’agit de faire payer les conséquences du chômage aux chômeurs et précaires. Cette rhétorique a un goût de déjà vu : l’UNEDIC est « menacée de faillite », il faut donc « sauver » le système d’indemnisation du chômage et donc que « chacun mette de sa poche ». à chaque renégociation de la convention UNEDIC on fait le coup aux salariés et aux chômeurs ! Pour toujours moins de résultats sur l’emploi et toujours plus d’aggravation de la pauvreté et de l’exclusion. Au moment où s’ouvrent cette année de nouvelles négociations, nous demandons à toutes les organisations syndicales de tirer les expériences du passée. Cela signifie ne pas accepter que le revenu des chômeurs soit une nouvelle fois amputé, refuser toute nouvelle dégressivité, refuser toute nouvelle baisse des allocations (en niveau et en durée) et bien sûr, refuser que cela se fasse sur le dos des salariés à faibles revenus par l’augmentation de leurs cotisations.
Qui peut croire que condamner des millions de personnes à vivre avec des revenus en dessous du seuil de pauvreté permet de faire vivre l’économie de manière efficace et avec un minimum de justice sociale ? Qui peut croire que cette situation n’explique pas le divorce existant entre les responsables politiques et les citoyennes et les citoyens ? Et si enfin on se décidait à faire ce que l’on n’a pas encore essayé, par exemple à faire payer l’État et les grandes entreprises responsables du chômage pour garantir des revenus qui permettent autre chose que la survie et l’enfoncement dans la spirale de l’exclusion ? Si l’on pariait enfin sur l’avenir en modernisant le service public de l’emploi tout en mettant en place des politiques qui ne soient pas dictées par la mondialisation libérale ?
Cela signifie principalement mettre en place des politiques publiques qui ne visent pas à réparer les dégâts du chômage mais à le supprimer. A quand une politique économique et sociale créatrice d’emplois dans tous les secteurs de l’économie, en priorité dans les secteurs de l’économie sociale et solidaire ? Il est préférable pour l’ensemble de la société de financer des emplois décents que des indemnités de chômage. Il ne faut plus se contenter du traitement social du chômage mais garantir aux citoyennes et citoyens des emplois stables et correctement payés, des formations de qualité, des logements accessibles. Au-delà de l’urgence que permet le traitement social du chômage c’est le modèle social qu’il est nécessaire de réformer radicalement. Cela exige bien sûr de remettre en cause les fondements économiques et sociaux responsables des inégalités et des exclusions qui n’ont cessées de s’accroître depuis plus de vingt ans. Il faudra pour cela trouver de l’argent. Des pistes n’ont pas encore été explorées comme, par exemple, la taxation des transactions financières.
Pour sa part, le MNCP, comme il le fait depuis vingt ans, prend ses responsabilités. C’est le sens de l’action et manifestation que nous proposons le 19 novembre prochain à Paris pour dire : « les chômeurs ne paieront pas la facture ! ». Après la phase officieuse, les négociations des partenaires sociaux à l’UNEDIC sont entrés, en effet, dans leur phase officielle le 8 novembre. Le 19 novembre ce sera notre façon de dire : « pas sans les chômeurs et précaires !». Exclus de la table de négociation les chômeurs se manifesteront pendant leur déroulement pour qu’elles soient autre chose que de petits arrangements.
Ce sera aussi l’occasion de rappeler qu’il y a vingt ans les chômeurs faisaient irruption sur la scène politique et sociale par des manifestations qui allaient aboutir dès 1986 à la création du MNCP, puis de l’APEIS en 1987 et enfin de AC! en 1993. Notre route n’a pas été inutile : allocation pour les chômeurs âgés en 1998, fin de la dégressivité, échec au recalcul, diverses dispositions de la loi dite de lutte contre les exclusions en 1998, traitement moins inhumain dans les ASSEDIC et les ANPE… Nous sommes conscients que notre action doit être solidaire de celle des salariées qui subissent eux aussi les conséquences du chômage, pas seulement sur les cotisations. C’est pourquoi le 19 novembre nous essaierons de faire passer le message : « pas sans tous les hommes et les femmes de bonne volonté ».
Maurice PAGAT
Hubert CONSTANCIAS
Robert CRÉMIEUX
Jean-François YON
(Président et anciens présidents du MNCP depuis 1986)
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